La consultation des sorties prévues pour Essen m’a interpellé quant à la présence de trois jeux basés sur le mythe de Cthulhu : Kingsport Festival, Miskatonic – Lycée de Jeunes Filles et Cthulhu Wars. Le premier, édité en français chez Iello, est une vraie nouveauté, disponible depuis déjà quelques jours, et reprend les bases de Kingsburg (d’ailleurs vu les premiers retours le jeu devrait surtout plaire aux fans de Kingsburg ; il en est très proche mais avec un thème plus fort et un peu plus d’aléa). Le second, à paraître en français d’ici la fin du mois chez Edge, est un jeu de deck building, traduit d’un jeu américain auto-édité en 2008 (qui a reçu des avis très partagés, apparemment le concept semble fun mais la mécanique ludique ne suit pas vraiment). Le dernier, déjà présent à Essen l’an passé (après sa campagne Kickstarter réussie), est un jeu de stratégie avec figurines, mais ne sera toujours pas proposé à la vente lors de cette édition. La disponibilité est toujours prévue d’ici la fin de l’année pour les backers.
Si l’on ajoute la longue litanie des titres FFG / Edge (Horreur à Arkham, Les Contrées de l’Horreur, Les Demeures de l’Épouvante, Le Signe des Anciens, Cthulhu – Le Jeu de Cartes et Cthulhu Dice – je crois que je n’en oublie aucun) et les jeux qui s’autorisent un clin d’œil plus ou moins appuyé au mythe (ainsi du sympathique A Study In Emerald de Martin Wallace) la liste est impressionnante. On peut légitimement se demander quelle en est la raison ?
A mon avis le rasoir d’Ockham tranche pour l’explication suivante : Howard Paul Lovecraft¹ est mort le 15 mars 1937. Son oeuvre est tombée dans le domaine public – au moins en ce qui concerne l’Europe – le 1er janvier 2008. Aux Etats-Unis la situation est plus compliquée, certaines œuvres étant tombées sans doute aucun dans le domaine public alors que pour d’autres la question est embrouillée et pas forcément tranchée. Mais l’explication est là : les visions de Lovecraft sont puissantes et l’exploitation du mythe offre à moindre coût (pas de royalties à reverser ni d’autorisation à obtenir) l’accès à un thème singulier et attractif et, dans le même temps (et surtout d’un point de vue mercantile), à ses fans. La question du thème a toujours été une pierre d’achoppement dans le jeu de plateau européen tant il semble souvent artificiellement collé sur la mécanique de jeu (l’améritrash se caractérisant au contraire par la prédominance donnée au thème – en témoigne la pléthore de jeux FFG – au prix d’un éparpillement des mécanismes de jeu et de la multiplication des exceptions et autres sous-systèmes). Kingsport Festival constitue ainsi une drôle de tentative de réconciliation des deux univers.
A titre personnel je déplore un peu cette surexploitation qui retire au mythe de Cthulhu une part de sa singularité et de sa puissance d’évocation en l’installant dans le train fantôme de la culture pop. Pour ceux qui voudraient en profiter pour découvrir Lovecraft et son oeuvre il existe l’incontournable édition Robert Laffont en trois volumes, dans la collection Bouquins (dont le premier tome contient une chronologie détaillée de la vie et de l’oeuvre de l’auteur), des nouvelles dispersées dans diverses collections et chez divers éditeurs (parmi les plus connues La Couleur Tombée du Ciel, L’Abomination de Dunwich, Le Cauchemar d’Innsmouth, Celui qui Chuchotait dans les Ténèbres, Dans l’Abîme du Temps, La Maison de la Sorcière, L’Appel de Cthulhu et Les Montagnes Hallucinées), et deux biographies, celle de Lyon Sprague de Camp (H.P. Lovecraft : le roman de sa vie) et surtout celle de Michel Houellebecq (H.P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie).