L’appel de la forêt

Avec la résurrection de Dungeons & Dragons le jeu de rôle est un peu retombé dans la soupière de l’heroic fantasy, même si heureusement celui-ci s’aventure volontiers dans des genres connexes. Ainsi de la dark fantasy (comme dans Midnight de l’excellent Greg Benage, l’incontournable Anima ou Les Ombres d’Esteren pour citer une création française). Si l’on ajoute l’omniprésence des zombies il est difficile de ne pas y reconnaître le sillage des déferlantes A Game of Throne et The Walking Dead, qui contaminent avec succès à peu près tous les médias dans lesquels ils se déclinent – preuve s’il en fallait du manque global d’inspiration des scénaristes et de l’exploitation outrancière des recettes qui vendent. J’ai déjà eu l’occasion de préciser que je n’étais pas vraiment fan de la thématique Z. mais je ne saurais néanmoins trop conseiller la lecture de l’excellent World War Z de Max Brooks (le fils de pour les cinéphiles), qui commence mollement mais déploie rapidement des trésors d’inventivité et utilise avec réussite l’effet de parallaxe de la multiplication des points de vue.

Le jeu de rôle explore bien évidemment d’autres directions, même si c’est bien trop souvent de manière plus confidentielle. Le genre post-apocalyptique est l’une de ces branches tordues mais vivaces, alimentée par les craintes inévitables sur la nature destructrice du progrès, l’absence de sens de la civilisation, la nature fondamentale de l’être humain, et cetera. Les zombies ne sont d’ailleurs qu’une variation d’un genre qui a été ravivé en 2006 par un authentique chef d’oeuvre, récompensée d’un Pulitzer, La Route, de l’immense Cormac McCarthy. Le post-apo n’a jamais cessé d’être exploité dans le jeu de rôle mais plusieurs titres singuliers sont sortis ces dernières années, placés de part et d’autre d’un même axe thématique : nature et barbarie. Pour explorer plus en détail ce thème la lecture du classique Au Cœur des Ténèbres de Joseph Conrad me semble également très recommendable.

D’un côté de cet axe on trouve une nature désolée et mourante (thème croisé de manière relativement conventionnelle dans Cendres ou Vermine par exemple ou mâtiné de fantasy dans Wasteland). Le jeu que je souhaite évoquer plus particulièrement est Krystal, création française parue chez XII Singes cette année. La catastrophe y est dénommée Clivage et ses conséquences donnent au jeu une coloration médiévale fantastique. La nature est au centre du jeu et j’apprécie le frêle enchantement qui se cache au milieu du tragique : les joueurs incarnent des Hérauts qui possèdent la capacité de survivre en dehors des poches d’humanité dans un monde hostile et de régénérer celui-ci, ce qui se traduit par des conséquences immédiates et visibles sur leur environnement.

Krystal

A l’opposé on trouve une nature redevenue sauvage, hors du contrôle de l’Homme, et qui exerce sur lui une étrange fascination, véritable appel à un retour à l’état sauvage. Dans Summerland, petit opuscule de Greg Saunders (paru en français aux éditions Icare en 2010), la forêt – l’Océan Vert – a envahi le monde et les joueurs incarnent des Errants, personnages qui ont résisté à l’Appel de la forêt en raison d’un traumatisme individuel. Ce traumatisme et l’isolement qui en découle provoque leur rejet des rares communautés humaines survivantes (les liens sociaux étant le principal moyen de résister à l’Appel). Le thème du jeu est ici la survie primale et la rédemption, surmonter son traumatisme et renouer avec la société. Plus récemment est sorti Inflorenza, superbement auto-édité par son auteur Thomas Munier, un jeu d’horreur psychologique où la forêt post-apocalyptique de Millevaux constitue le sombre miroir de l’âme des personnages qui la peuplent. Inflorenza est un jeu à l’atmosphère éprouvante, à la croisée des genres car la forêt peut revêtir bien des aspects et des ambiances, et qui place la question de la nature humaine, de la barbarie, des désirs individuels et du bien commun, au centre de ses préoccupations. Un jeu de rôle passionnant et exigeant.

Inflorenza

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Je reste dans l’actualité rôlistique pour les fans du World of Darkness qui auraient envie d’un très beau cadeau de Noël (2015). Les déclinaisons pour le 20ème anniversaire de la gamme d’origine se poursuivent ; après Vampire – Dark Ages c’est Wraith – The Oblivion qui a droit à son Kickstarter, qui court pour encore deux bonnes semaines au moment où j’écris ces lignes. J’ai toujours trouvé le jeu injouable en tant que tel mais le background passionnant en fait un excellent sourcebook et cette édition devrait être sublime. Pour ma part je passe pour cette fois mais je prends cette dernière campagne Kickstarter comme une excellente nouvelle. Car si Wraith a droit à son édition anniversaire je commence à penser que ce sera également le cas pour l’un de mes jeux de rôle préférés : Changeling – The Dreaming 😀

MàJ : Pour rester dans le sujet je viens de m’aviser que Vampire V20 (l’édition 20ème anniversaire) était désormais disponible en français depuis le 19 décembre chez Arkhane Asylum Pusblishing. Faites gaffe l’encre est à peine sèche !

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