L’idée d’un article sur l’éditeur GMT Games me trottait dans la tête depuis un petit moment ; voilà chose faite. A l’origine il s’agit d’un éditeur de wargames fondé en 1990, héritier spirituel d’un éditeur indissociable du genre : Avalon Hill. Vieille dame née en 1954, Avalon Hill a largement contribué à définir le wargame dans sa forme désormais baptisée ‘monster’ (utilisation d’une grille hexagonale et simulation aussi exhaustive que possible prenant en compte de très nombreux paramètres) – avec des parties qui peuvent se dérouler sur plusieurs jours, voir même semaines. La crise commerciale qui a frappé le secteur dans le milieu des années 90 a eu raison de l’éditeur, racheté par Hasbro, et qui perdure aujourd’hui sous la forme d’une marque de prestige, mais largement vidée de sa substance. Il suffit de se rendre sur cette page pour s’en rendre compte, même si certains jeux valent le détour. Le jeu vidéo surtout, et probablement un peu les contingences de jeu (durée et complexité) lui auront été dommageable.
GMT Games s’est construit sur cette crise.
– d’abord en adoptant un modèle d’édition particulier : le système P500. Au delà du tirage initial les titres de l’éditeur sont proposés à tarif préférentiel en précommande exclusivement. Dès qu’un titre atteint les 500 réservations la production est lancée (pour un volume supérieur, le surplus étant écoulé au tarif normal). Ce système a été complété depuis par le recours au financement participatif pour le développement de certains titres, en particulier ceux qui se risquent hors des sentiers battus.
– ensuite en faisant évoluer le genre. Si GMT Games possède dans son catalogue quelques wargames de type monster (et quelques rééditions révisées de classiques Avalon Hill), l’éditeur propose principalement des wargames simplifiés, qui délaissent la grille hexagonale et les tables kilométriques de paramètres, mais sans rien sacrifier à la profondeur stratégique. Les parties se déroulent en 2-3 heures – jusqu’à une grosse journée pour les titres les plus costauds. Ce type de wargame, qui exploite des cartes d’action (qui servent soit à déclencher des événements – pour transposer l’environnement historique – soit à déclencher des actions militaires via des points d’opération), est baptisé ‘card driven’.
Par ailleurs l’éditeur est également perméable à l’influence du jeu de plateau européen et propose à son catalogue des titres convaincants et souvent accessibles, qu’il s’agisse de jeux de plateau stricto sensu ou d’hybridations intéressantes avec le wargame. Pour ma part je m’adonne au jeu de plateau à l’allemande depuis assez longtemps et j’ai connu la plupart de mes expériences récentes les plus rafraîchissantes avec des jeux de chez GMT Games (en particulier Twilight Struggle et Sekigahara – des wargames simplifiés pour 2 joueurs – et Dominant Species ou encore Thunder Alley du côté du jeu de plateau).
Je possède dans ma ludothèque l’un des card driven les plus imposants de GMT : Virgin Queen, un jeu pour six joueurs motivés (6-8 heures de jeu, 60 pages de règles), qui mélange dimension militaire, politique (le jeu aborde les guerres de religion entre catholiques et protestants), diplomatique, et même un aspect développement. Un tel monstre n’a rien d’évident à mettre en œuvre et d’ailleurs ma boîte n’a jamais servi – ce qui ne m’empêche pas d’y jouer. En fait j’en parle pour évoquer un outil formidable pour le jeu de plateau en général, et le wargame en particulier : VASSAL. Il s’agit d’un moteur open-source, disponible sur tous les OS, pour jouer à distance. En particulier les titres GMT sont tolérés (et parfois même supportés) gracieusement par l’éditeur. En parallèle ce dernier planche d’ailleurs sur des adaptations informatiques de ses titres majeurs, Twilight Struggle et Dominant Species en tête.
- Sekigahara
Sekigahara est un jeu d’une élégance insolente avec son design épuré et ses jolis blocs en bois noirs et or. Le matériel tranche avec ce que propose d’ordinaire GMT et immerge aussitôt dans l’ambiance du Japon médiéval. Wargame simplifié pour deux joueurs le jeu fait la part belle à la fourberie, et transforme une mécanique a priori dangereusement aléatoire – mais très originale – en qualité exquise. Dans Sekigahara les blocs représentent des unités relevant de divers clans, visibles du seul joueur qui les contrôle tant qu’elles ne sont pas engagées dans une bataille (ce qui traduit le brouillard de guerre). Mais disposer d’unités en nombre ne suffit pas : celles-ci doivent être activées pour participer au combat. Cette activation est réalisée au moyen de cartes qui déterminent quels clans peuvent être déployés, quelles capacités spéciales utilisées et peuvent également provoquer un test de loyauté d’une unité ennemie. La main d’un joueur est donc déterminante et le hasard de la pioche a moins d’importance que l’usage qui en sera fait. Il est indispensable d’appuyer sa stratégie sur les cartes disponibles en main – en particulier la composition et l’emplacement de ses armées – et d’utiliser les options tactiques qu’elles autorisent avec discernement (notamment parce qu’il est possible de sacrifier des cartes pour obtenir des mouvements supplémentaires). Jouer en escomptant une pioche opportune conduit presque invariablement à l’échec. Je suis volontairement passé sur les nombreuses subtilités du système qui, pour simplifié qu’il soit, ne fait l’impasse sur aucun élément essentiel à un bon wargame. Sekigahara est tout simplement un jeu brillant.
- Twilight Struggle
Dans la boîte la plus moche du monde se cache le titre le plus vendu de GMT : un wargame asymétrique pour deux joueurs, qui propose de prendre en main les destinées de l’URSS et des États-Unis pendant la Guerre Froide. Le jeu est un card driven : chaque tour est divisé en séquences d’action qui correspondent au jeu d’une carte. Les joueurs piochent au début du tour une main égale au nombre de séquences à jouer plus une carte (une carte sera donc conservée d’un tour sur l’autre) ; pour mieux retranscrire la progression historique de nouvelles cartes seront ajoutées à la pioche lors de tours prédéterminés. Ensuite, et à tour de rôle, les joueurs jouent une carte de leur main et choisissent d’en déclencher l’événement ou d’utiliser les points d’opération associés (pour étendre l’influence de leur bloc, provoquer le réalignement de la politique étrangère de certains pays ou réaliser un coup d’état). Un événement peut être neutre (et profite au joueur qui le joue, quel que soit son camp) ou favorable à un camp donné. Dans ce dernier cas l’événement est automatiquement déclenché si le joueur du camp opposé utilise la carte pour ses points d’opération, ce qui permet de neutraliser ingénieusement le hasard de la pioche.
Certaines cartes particulières, dites de ‘scoring’, déclenchent le décompte de l’influence dans une région du monde, avec des points de victoire alloués aux deux blocs en fonction de leur situation respective. Ces cartes n’ont aucun autre effet (ni événement ni points d’opération) et doivent impérativement être jouées au cours du tour durant lequel elles sont piochées. Jouer une carte scoring fait donc perdre une action (puisque la carte n’a pas d’autre effet) mais le fait de pouvoir la jouer au moment le plus opportun procure un avantage redoutable (autant pour maximiser son score que pour minimiser la casse, selon la situation). La partie s’arrête dès qu’un camp obtient le contrôle de l’Europe ou atteint un différentiel de 20 points de victoire sur l’autre camp (ou sinon à l’issue du dixième tour, auquel cas le camp avec un différentiel positif de points de victoire l’emporte). Accessoirement un camp qui déclencherait la guerre atomique perd la partie. Twilight Struggle est un jeu d’une grande finesse, à la fois dans la manière d’exploiter sa main (pour tirer le meilleur partie de ses cartes – en particulier celles favorables à l’adversaire) et dans la stratégie de contrôle territorial à mettre en œuvre (pour contenir l’adversaire, exploiter ses points forts et – dans la mesure du possible – avancer masqué). Un classique incontournable.
- Washington’s War
Washington’s War est la réédition révisée d’un classique du wargame : We the People. Classique par son approche simplifiée du genre (notamment le remplacement des hexagones par des connexions et une gestion économe du mouvement qui ne cède rien à la profondeur de jeu) et l’utilisation de cartes d’actions – et en particulier d’événements – qui permettent de traduire ludiquement le contexte historique. Ici deux joueurs prendront respectivement en main les forces américaines et anglaises pendant la Révolution Américaine, pour s’affronter sur le devenir des treize États / colonies, selon le point de vue. Le jeu est asymétrique du fait de la position de départ et des avantages propres à chaque camp (principalement la mobilité pour les américains et des armées supérieures pour les anglais). L’approche stratégique est donc différente même si l’objectif de deux camps est fondamentalement le même : asseoir le contrôle politique d’un nombre suffisant de colonies à l’issue de la partie (6 pour les anglais et 7 pour les américains, avec une victoire par défaut des anglais dans cette situation). Washington’s War est un très grand jeu mais il souffre à mon avis de deux petites défauts :
– d’une part il souffre de la comparaison avec d’autres titres plus récents de GMT qui exploitent la même mécanique dite ‘card driven’ mais dans une version assouplie, en doublant événements et opérations militaires sur une même carte, et en limitant l’effet d’aubaine de la pioche.
– et à ce propos je trouve justement que la sortie des cartes ‘campagnes’ impacte de manière importante la partie. Si l’anglais s’en trouve privé il aura beaucoup de peine à exploiter efficacement ses armées, surtout compte tenu du coût d’activation de ses généraux en points d’opérations.
Ceci étant dit le jeu est raisonnablement équilibré et la distribution des cartes se fait rarement à sens unique. Ces défauts ne doivent pas être un frein à la découverte de ce classique, même s’il convient de remarquer que cet aspect a été efficacement amélioré dans des titres ultérieurs.
- Thunder Alley
Je renvoie à ma présentation déjà postée ici.
- Dominant Species
Même chose pour Dominant Species, mais ça se passe là.